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Tout en restant fidèles a la lettre et aux événements racontés dans leurs mémoires, les récits de Vrba et de Müller tels qu'ils ont été filmés et montés par Lanzmann dans Shoah s'enrichissent d'une
série de recours qui proviennent du domaine de la fiction: une dramaturgie du témoignage,
l'imposition d'un ordre
séquentiel visant a l'efficacité narrative, le montage des voix avec des images des
lieux parcourus par la caméra, une dispositio préparant l'explosion du climax ... A
la fin de ce parcours, les acteurs - car ils le sont même s'ils incarnent leurs person nages
d'autrefois -, assument l'impératif de témoigner: pour Müller, une mystique, pour Vrba, un besoin
urgent auprès des Alliés. Le tableau vivant qu'ils dressent tout au long de leurs interventions
configure une tenaille testimoniale qui se referme entre deux lieux ou la machinerie de mort
fut le plus près de l'extermination: la rampe et la chambre a gaz, lieux voisins, se cotôyant
presque. Et pourtant l'ineffable et l'irreprésentable invoqués ne font que légitimer ce que Améry,
Wiesel, Paul Celan (tant estimé par Adorno lui-même) avaient pressenti: que la voie de l'art et les ressources de la fiction n'étaient pas convoquées par hasard par
Lanzmann, dans la mesure oû, aurait-il confié a l'éminent historien Raul Hilberg,
« seul un artiste consommé peut recréer ce fait, que ce soit par un film ou par un
livre, car une telle recréation représente un acte de création en soi ». Ressources
de la fiction, voies de l' art, certes, mais pas n'importe lesquelles.
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